Sur les inégalités d’émission du carbone en France
Avez-vous lu l’article d’Antonin Pottier et al. sur les inégales émissions carbone en France en fonction des déciles de population ? Le paradoxe de Madonna a amusé les étudiant-es ainsi que l’impact des modes de calcul sur la responsabilité des émissions. L’article évoque à la fois les limites d’un calcul fondé sur les consommations individuelles tout en les calculant. Au final, celles-ci dépendent du revenu mais aussi de la distance géographique parcouru (entre domicile et travail par exemple) ou des choix techniques comme les modes de chauffage. Une partie des personnes du les plus pauvres émettraient plus que celles appartenant au décile le plus riche. Cette étude s’est prolongée Antonin Pottier, Alain Grandjean et Simon Yaspo à signer une tribune dans Le Monde le 21 septembre 2022 qui explique qu’il ne suffira pas de compter sur la diminution des consommations des riches puisque « les 10 % les plus riches représentent 15 % des émissions de la consommation des ménages, » La statistique est politique.
Oui mais… il existe d’autres méthodes pour calculer les émissions notamment celle de Lucas Chancel qui signe un article dans Nature le 29 septembre 2022. L’auteur prend en compte non seulement les revenus mais le patrimoine avec l’idée qu’un propriétaire d’un immeuble est responsable des émissions de cet immeuble – et pas seulement le locataire au smic qui habite au deuxième étage. Et quand on fait cela, le décile français le plus riche n’émet pas 15 % mais 45 % des émissions nationales [dans cette longue étude fouillée et publiée avec Yannic Rehm]. Avec cette méthode là, la moitié des ménages français émettent déjà l’objectif à atteindre en 2030 (5 tonnes CO2eq / personne) et les efforts doivent porter d’abord sur les plus riches et les classes moyennes supérieures.
Une taxe carbone n’y suffit pas car elle est à la fois trop lourde pour les faibles revenus et trop limitée pour modifier les comportements les plus émetteurs des hauts revenus. Il faut donc s’y prendre autrement et j’aurai aimé avoir le temps de faire réfléchir les étudiant-es en petit groupe à ce qui devrait être fait pour respecter cette trajectoire dans diverses positions sociales (un chef d’entreprise industrielle ; un maire ; un-e citoyen-ne au RSA ; un président de la République).
Nous avons quand même visualisé ces émissions nettes – sans prendre en compte les émissions importées qui ont fortement augmenté. Chaque kapla représente 2 millions de tonnes de C02eq. Cela permet de se donner une représentation physique de chiffres qui sont parfois abstraits. La France a émis 418 millions de tonnes en 2021 (209 kaplas).
Autre représentation possible de la répartition des émissions par décile de population :
La France devrait émettre 300 millions de tonnes en 2030 (150 kaplas). Qui doit modifier son mode de vie ? Qui porte la responsabilité des émissions ?
La visée était à la fois de se rendre compte des pouvoirs cachés de la statistique (et qu’il ne s’agit pas uniquement de marcher pour le climat) et de la nécessité d’affecter les émissions à des entités collectives – ou à un cumul de responsabilité dans l’exemple de Madonna – si on veut pouvoir imputer des responsabilités qui ne soient pas écrasées sur la dimension comportementale.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emmanuel Bodinier (9 novembre 2022). Sur les inégalités d’émission du carbone en France. Justice des mondes vivants. Consulté le 6 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/vp0d